Depuis la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) en septembre 2023, réunissant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, les observateurs s’interrogent sur la nature du modèle politique qui émerge au sein de ces trois pays sahéliens. Ce regroupement stratégique, né dans un contexte de rupture assumée avec les anciennes puissances coloniales et d’un rejet des mécanismes régionaux traditionnels comme la CEDEAO, porte les germes d’une transformation politique inédite en Afrique de l’Ouest.
🔺 Une Transition Politique Antisystème
Les régimes au pouvoir dans ces trois pays partagent un point commun : leur accession au pouvoir par des putschs militaires sur fond de crise sécuritaire, de rejet de l’élite politique et de méfiance envers les institutions internationales. Les juntes au pouvoir ont, dans un premier temps, revendiqué des objectifs de refondation : sécurité, souveraineté, justice sociale.
Plutôt que de revenir rapidement à un ordre constitutionnel classique, comme le leur demandaient les organisations internationales, les autorités de l’AES ont proposé une redéfinition de l’État, inspirée d’un souverainisme africain assumé, centré sur le refus de l’ingérence étrangère.
⚖️ Un Modèle de Gouvernance Axé sur la Souveraineté
Le modèle politique qui se dessine dans l’AES s’appuie sur plusieurs piliers :
- Refus de l’ordre libéral occidental : Rejet des formes classiques de démocratie multipartiste perçues comme inadaptées ou corrompues.
- Promotion d’un patriotisme de rupture : Discours panafricaniste, restauration de la dignité nationale, valorisation des langues nationales et des cultures locales.
- Alliance sécuritaire et politique régionale : Coopération militaire renforcée entre les armées nationales pour lutter contre les groupes armés djihadistes, en marge des partenariats occidentaux traditionnels.
- Ouverture à de nouveaux partenaires géopolitiques : Notamment la Russie, la Turquie, l’Iran ou encore la Chine, dans une logique de diversification stratégique.
🛠️ Un Processus de Refondation Institutionnelle
Les pays de l’AES ont annoncé des processus de transition prolongés, accompagnés de dialogues nationaux censés aboutir à une nouvelle architecture politique. L’idée n’est pas tant de restaurer l’ancien modèle constitutionnel, que de proposer une voie politique proprement africaine, fondée sur l’ordre, la discipline, l’efficacité, mais aussi sur l’intégration populaire.
Des projets de nouveaux textes constitutionnels sont en cours, souvent marqués par un retour du rôle central de l’armée, une valorisation des autorités traditionnelles, et une volonté de contrôle accru sur les ressources stratégiques.
🧭 Un Modèle Politique à Contre-courant ?
Le modèle AES suscite à la fois fascination et inquiétude. Il est applaudi par une partie de la jeunesse africaine, lassée des régimes perçus comme néocoloniaux, et désillusionnée par les promesses non tenues de la démocratie libérale. Mais il est aussi critiqué pour les risques d’autoritarisme, de restriction des libertés et d’isolement diplomatique.
La question demeure : peut-on construire un modèle politique africain souverain, stable et inclusif, sans renier les principes fondamentaux de la participation citoyenne et de l’État de droit ?
🔮 Conclusion : Une Expérimentation Politique à Suivre
Le modèle politique de l’AES n’est pas encore stabilisé. Il s’agit d’un laboratoire d’idées et d’expériences politiques qui, s’il réussit à garantir la sécurité, l’intégrité territoriale et une certaine prospérité, pourrait inspirer d’autres pays du continent.
Mais son succès dépendra de sa capacité à éviter les pièges des régimes militaires classiques : personnalisation du pouvoir, répression, confiscation du débat public. L’avenir de l’AES repose donc sur un fragile équilibre entre rupture et innovation, entre souveraineté et responsabilité.
